Quelle est votre histoire avec la danse ?
J’ai commencé la danse à l’âge de 11 ans. Je ne me voyais pas en tutu ; alors je me suis naturellement tournée vers la danse modern jazz et la danse contemporaine plutôt que la danse classique. J’ai su aussitôt que je voulais être danseuse professionnelle, ce qui ne rassurait pas trop mon père qui m’a élevée seul et qui était très protecteur. Ma professeure de danse a été pour moi comme une mère adoptive : c’est elle qui m’a encouragée à suivre mon intuition. Un jour, elle est partie à Paris. À son retour, elle avait rapporté avec elle ce qui s’avérait être une révélation : «Tu es faite pour le Crazy !». Après l’avoir traitée de folle, j’ai accepté de passer l’audition, et ma vie a basculé.
Quelle femme êtes-vous lorsque vous êtes sur la scène du Crazy Horse ?
Dans la vie, au premier abord je peux paraître très froide. Une fois la première impression faite, les gens découvrent une personne très chaleureuse. C’est ce qui ressurgit sur la scène du Crazy Horse : ce mélange chaud-froid fait de Gloria di Parma une femme mystérieuse, sensuelle et sûre d’elle qui décide seule du moment où elle brisera la glace et laissera apparaître son côté charmant.
Qu’est-ce qui fait la magie du Crazy Horse depuis 70 ans ?
Ce qui rend le Crazy Horse si magique depuis toutes ces années est le fait que ça ne s’arrête jamais ! Bien que très attachée à son histoire, son héritage, le Crazy Horse est une compagnie ancrée dans notre monde contemporain qui se renouvelle sans cesse. Andrée Deissenberg maîtrise cet équilibre fragile d’une main de maître. Toute cette énergie, omniprésente, insuffle une véritable émulation créative au sein du Crazy : chacun et chacune d’entre nous se sent très impliqué.e, et a surtout envie de s’impliquer.
Comment travaillez-vous un solo au Crazy Horse ?
Au Crazy Horse, on n’apprend pas de chorégraphie par cœur. Par exemple, lorsque j’ai commencé à travailler le solo Good Girl, je connaissais le tableau pour l’avoir vu mille fois. Sveltlana Konstantinova, la directrice de scène et de production du Crazy Horse a mis la musique et m’a dit “Danse ! Fais ce que tu veux !”. Alors j’ai dansé. Toutes les deux, nous avons pris ma gestuelle, tout ce qui est naturel chez moi, pour l’intégrer dans la chorégraphie. Il y a des positions clés qui sont les mêmes pour tout le monde et font l’identité du tableau, mais le reste est pensé en fonction de la danseuse. Cela crée un contraste entre les numéros de groupe où tout doit être précis, identique, et les solos qui varient selon la danseuse.
Créer du rêve, cela demande une discipline de fer ?
Absolument oui ! J’ai toujours été très carrée dans tout, surtout dans la danse. En avançant dans la vie, j’essaie de lâcher un peu plus prise, mais j’avoue avoir encore besoin dans certains moments, d’une maîtrise totale de la situation pour me sentir bien. Je réfléchis beaucoup et je répète énormément pour que mon travail reflète mes exigences.
Le moment de votre vie dont vous êtes la plus fière ?
L’audition pour entrer au Crazy Horse, sans hésiter ! Cela correspond à une période de ma vie où j’ai relevé beaucoup de défis. J’ai déménagé à Paris, seule, sans parler la langue, sans connaître la ville. Je me suis débrouillée pour trouver un appartement sans l’aide de personne. En venant ici, je suis devenue une femme indépendante et libre de dire ce que je pensais et de faire ce que je voulais. Je suis devenue moi-même.
Quel tableau du Crazy vous émerveille le plus ?
Le numéro créé par Philippe Decouflé en 2008 lors de la crise des subprimes aux Etats-Unis. C’était mon premier solo. Quand on me l’a confié, je me suis dit que cela ne me correspondait pas du tout, qu’il devait y avoir une erreur : je l’avais vu interprété par une danseuse qui avait une très forte personnalité. Et puis finalement, en le travaillant, j’ai découvert d’autres facettes de ma personnalité que je ne connaissais pas comme ma sensualité et ma féminité. Ça n’a pas été facile tous les jours : dans ce numéro, l’effeuillage est techniquement délicat. Au départ tout se coinçait : le porte-jarretelles, les bas, la chemise… Puis à un moment, je me suis dit “peu importe le problème que j’aurai, j’arriverai à le gérer !” Ce solo m’ayant fait prendre beaucoup d’assurance sur scène, et dans la vie : j’étais prête, tout simplement !
Photos : Riccardo Tinelli, Alberto Baracchini, Rémi Desclaux