Quelle histoire se cache derrière votre nom de scène ?
On m’a appelée Moonshine parce que je suis rêveuse, dans la lune depuis toujours. Zora est un prénom arabe qui signifie fleur, blancheur lumineuse.
Quelle est votre histoire avec la danse ?
Je suis née en Normandie. Dès quatre ans, la danse a pris une place considérable dans ma vie. Vers neuf ans, alors que j’étais déjà passionnée de danse classique, ma famille a traversé un épisode très critique financièrement. Il était question que j’arrête la danse, nous n’avions plus les moyens. Mais ma mère a senti que c’était devenu presque vital pour moi. Elle a tout sacrifié pour que je puisse continuer, je me rends compte aujourd’hui de sa générosité et du rôle qu’elle a joué dans ma carrière. Je passais ma vie à l’école de danse où je retrouvais des repères et une famille, loin des difficultés de la maison. En un an, les progrès furent si fulgurants que, moi qui n’avais jamais remporté aucun prix lors des compétitions, je me suis mise à gagner toutes les médailles d’or et j’ai été repérée par le directeur du Conservatoire National de Paris. J’ai donc quitté ma famille à douze ans pour entrer en internat dans cette école de danse prestigieuse. J’étais si passionnée que je mettais mon réveil tous les matins à six heures pour forcer mon cou-de-pied et gravir les échelons jusqu’à devenir majore de ma promo.
Mais vers seize ans, le vent a tourné. J’ai commencé à souffrir d’anorexie. Les méthodes pédagogiques humiliantes de l’une de mes professeures m’avaient ôté le goût de la danse, qui était ma raison de vivre. Après un séjour à l’hôpital, l’école a refusé de me reprendre. Ma dernière année est donc tombée à l’eau, en même temps que mon rêve de rejoindre l’Opéra de Paris. Je me suis sentie abandonnée mais je ne me voyais pas arrêter la danse. J’ai intégré une école à Hambourg mais je n’y étais pas heureuse. Du jour au lendemain, j’ai tout arrêté.
J’avais besoin de prendre de la distance avec la danse et ses miroirs, de régler mon problème de dysmorphophobie et de me rapprocher de choses plus intellectuelles donc j’ai repris des études. Quelque temps plus tard, j’ai repris contact avec une copine du conservatoire qui avait intégré la troupe du Crazy Horse. Le jour où je suis allée voir le spectacle, j’ai été bouleversée. J’ai trouvé Suzanne incroyable, j’étais en larmes. Tout à coup je voyais des femmes avec des formes s’épanouir sur scène… Cela allait à l’encontre de toutes mes idées reçues en lien avec ma formation classique : être plate et mince à tout prix, ou échouer.
À partir de ce moment, je n’avais plus qu’une idée en tête : rejoindre cette compagnie. Mais je n’avais pas dansé depuis deux ans… J’ai passé une première fois l’audition mais j’ai échoué car j’étais encore bien trop fragile, trop maigre, trop pudique. J’ai recommencé à prendre des cours de barre au sol avec cet objectif en ligne de mire. Après mes problèmes d’anorexie, les hormones sont revenues d’un coup et j’ai pris beaucoup de poids. J’ai repassé l’audition mais là j’étais non seulement beaucoup trop dodue mais en plus je n’avais toujours aucune aisance dans ma féminité. Quand Svetlana a mentionné que ce n’était pas la peine de revenir, je me suis fait une raison. J’ai commencé à danser pour des cabarets de province, des clips, ou sur des plateaux télé. Au fil du temps, j’ai pris confiance en moi. Quatre ans après ma première audition, j’ai eu la chance de rencontrer Andrée Deissenberg qui m’a conviée à repasser l’audition. J’avais énormément changé dans mon corps et dans ma tête, et cette fois-ci, c’était oui.
Qu’avez-vous découvert sur vous-même en devenant danseuse au Crazy Horse?
À chaque nouveau solo, je découvre un peu plus ma féminité et ma puissance. Le fait d’être seule sur scène et de m’approprier totalement un numéro ouvre la porte de mes émotions. Je me sens légitime de ressentir et d’exprimer ma sensualité quelle qu’en soit la couleur. Si j’ai envie de faire ressortir un côté animal, frontal, fort, des émotions qui sont plus souvent rattachées aux hommes, ici je peux le faire en toute sécurité. Si j’ai envie d’exprimer ma tristesse ou parfois ma rage, quitte même à pleurer ou crier sur scène, je le peux également. Au Crazy Horse, tout est permis tant que l’on reste dans les codes de la maison et qu’on est dans la sincérité et la justesse.
Quelle image donnez-vous de la femme lorsque vous dansez sur la scène du Crazy Horse ?
L’image d’une féminité plurielle et mouvante. Notre carrière ici accompagne notre évolution de femme. Je trouve ça magnifique de voir danser sur scène des femmes de vingt ans et d’autres de quarante ans. Elles offrent un panel de féminités et de beautés différentes. Ce n’est pas un secret : accepter le temps qui passe n’est pas toujours facile pour une femme. Moi j’ai envie d’embrasser cette maturité qui m’offre une compréhension plus fine de la femme que je suis et de celles qui m’entourent. Je trouve belle cette perpétuelle évolution, tous ces messages différents que l’on découvre et que l’on transmet au fil du temps.
Quelles sont vos plus grandes inspirations en danse ?
Ceux qui m’ont le plus influencée sont William Forsythe et Jiří Kylián. Ce sont des chorégraphes contemporains qui se sont libérés de leurs codes classiques pour arriver à une expression artistique absolument fascinante. Leurs parcours sont très impressionnants, je les admire beaucoup.
Que représente pour vous le tableau But I’m a Good Girl, que vous interprétez en solo ?
Le jour où j’ai fait fait But I’m a Good Girl pour la première fois était le plus beau de ma vie. Avant de rentrer au Crazy Horse, je collectionnais toutes les archives que je pouvais trouver à son sujet. Je savais que Good Girl était le numéro d’anthologie qui avait rendu célèbre Polly Underground, l’une des danseuses les plus emblématiques de l’histoire du Crazy Horse. Good Girl représente pour moi l’âme d’Alain Bernardin et du lieu magique qu’il a créé. Le jour où je me suis réveillée en me disant que j’allais incarner ce personnage le soir-même, j’étais pétrifiée mais aussi tellement fière et émue. C’était le symbole de ma réussite personnelle, de mon accomplissement après tout ce chemin. Moi qui avais depuis longtemps pris la mesure du mythe du Crazy Horse, là j’en faisais partie… Mon cœur a failli exploser !
Photos : Rémi Desclaux, Riccardo Tinelli, Antoine Poupel